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In-visibilité de la diversité des seniors – L’émergence d’une nouvelle ère dans le travail avec les personnes âgées

La société au Luxembourg est de nos jours de plus en plus diverse : plus de nationalités, plus de cultures, plus de langues, mais également des orientations de genre et des identités sexuelles différentes, des religions, des confessions et des spiritualités diverses. Tout ceci se retrouve quotidiennement au Grand-Duché. Mais qu’en est-il des personnes âgées ? Sont-elles également plus diverses qu’avant ? Et, si oui, leur entourage, les professionnel·les, les politiques sont-ils prêts à accueillir cette diversité ?

Chaque année, à l’occasion de la Journée internationale des personnes âgées le 1er octobre, le Centre de compétence gérontologique (GERO) met en avant une thématique particulière relative aux seniors. En 2022, ce fut celle de la diversité des personnes âgées. Une partie de notre travail a consisté à sensibiliser à la diversité des personnes âgées, mais également à mieux la connaître pour mieux l’appréhender.

De la graine au fruit

C’est ainsi que nous avons réalisé notre enquête auprès des professionnel·les du secteur, c’est-à-dire toute personne travaillant avec des personnes âgées. Cette enquête, intitulée DIVINE – DIVersity in INstitutions for the Elderly, poursuit trois objectifs principaux. Le premier est de mieux connaître la diversité des personnes âgées en partant du point de vue des professionnel·les, le deuxième de savoir si leur diversité pouvait constituer un motif, voire plusieurs motifs de discrimination, et le troisième de déterminer ce qui pourrait aider les professionnel·les à aborder les questions relatives à cette diversité. Cette enquête nous permet également de soulever la question de l’hétérogénéité des personnes âgées, de leur diversité et des enjeux que cela représente pour la société luxembourgeoise.

Le nom de DIVINE peut faire sourire ou faire instinctivement penser à des références religieuses. Or, il n’en est rien. Cet acronyme reflète une réalité sociologique en cours, des changements encore parfois peu visibles. Le défi de cette enquête demeure complexe et sensible. Complexe, car les situations des personnes âgées issues de la diversité, qu’elle soit d’ordre sexuel, culturel ou religieux par exemple, sont singulières, parfois cachées ou source de souffrance. Mais elles peuvent tout aussi bien représenter une force ou un point d’ancrage dans la société. Et sensible, car les questions de diversité touchent les gens personnellement, leur bien-être, leur quotidien, leur intimité. Mais que ces questions demeurent vitales dans le cas de personnes âgées dépendantes d’une tierce personne, par exemple pour se laver, se nourrir, se déplacer. Cet article vise donc à susciter le débat sur l’accueil de la diversité des personnes âgées au sein des institutions, afin de créer des environnements de travail inclusifs et exempts de discrimination.

La procédure

Dans l’optique d’évaluer la manière dont les personnes âgées sont perçues dans leur diversité et dont leurs besoins sont pris en compte, notre enquête cible les professionnel·les du secteur d’activités, d’aides et de soins aux personnes âgées. Les institutions et les professionnel·les travaillant avec les seniors sont multiples. Il s’agit à la fois des Clubs Seniors, proposant des activités tout au long de l’année et œuvrant pour leur intégration, leur participation et leur bien-être. Il s’agit également des maisons de soins et des CIPA (Centre intégré pour personnes âgées), employant un nombre important de professionnel·les ainsi que des soignant·es travaillant dans les différents réseaux d’aides et de soins à domicile au Luxembourg.

L’approche numérique

Pour faciliter la participation à l’enquête, le questionnaire a été conçu en trois langues et de manière à pouvoir y participer facilement via un code QR. Une première partie concernait les croyances, les attitudes et les pratiques personnelles. Les questions posées avaient trait aux attitudes personnelles envers les personnes âgées et l’image que les participant·es peuvent avoir de celles-ci. Une deuxième partie portait sur le lieu de travail des participant·es et leur travail avec les personnes de plus de 60 ans. Les questions étaient relatives à la diversité des personnes âgées ainsi qu’aux éventuelles discriminations dont elles pourraient faire l’objet en raison de leur diversité. D’autres questions mentionnaient les défis, préjugés et stéréotypes à l’égard des seniors.

Les participant·es

Sur les 64 personnes à avoir rempli le questionnaire, 80 % étaient des femmes, majoritairement luxembourgeoises, âgées de 42 ans en moyenne et travaillant dans des Clubs Seniors ou des CIPA. La plupart d’entre elles occupent soit une fonction de direction, soit une fonction d’encadrement socio-éducatif, de soins ou une fonction administrative. Malgré la taille de l’échantillon, les données recueillies fournissent un aperçu de la perception de la diversité dans le contexte du travail avec les personnes âgées au Luxembourg, pour lequel les données faisaient défaut jusqu’à présent.

La perception des professionnel·les 

Dans un premier temps, nous avons cherché à connaître les perceptions de l’âge des personnes interrogées. A cet effet, nous leur avons demandé de choisir, dans un nuage de mots, trois adjectifs qui, selon elles, décrivent le mieux les personnes âgées. Le nuage de mots contenait aussi bien des descriptions positives, axées sur les ressources, que des descriptions négatives, axées sur les déficits. Les réponses ont révélé une image de la vieillesse, certes différenciée, mais majoritairement positive, telles que « expérimentée », « active », de la part des participant·es. Bien évidemment, l’image de la personne âgée « fragile » apparaît également – mais de façon moins prononcée – dans notre enquête. L’image sociétale de la vieillesse, par contre, est jugée comparativement plus négative, la vulnérabilité et les coûts étant particulièrement mis en avant. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu, dans notre étude, non seulement dresser un état des lieux, mais également susciter un processus de réflexion sur les attitudes personnelles face à la diversité des seniors.

Compte tenu de l’importance de l’image de la vieillesse dans l’attitude à l’égard des personnes âgées et du « soi vieillissant » de tout un chacun, il est important que la société promeuve une image positive et axée sur les ressources des personnes âgées.

La diversité, une réalité dans les institutions ?

La diversité est devenue un terme populaire, et de plus en plus de personnes et d’institutions adoptent une attitude positive à cet égard. On l’accepte volontiers, sans toutefois se demander dans quelle mesure c’est le cas. Cela ressort, par exemple, de la question sur la signature de la Charte de la diversité. Cette charte favorise une politique inclusive en matière de diversité au Luxembourg depuis 2012. Cependant, uniquement 39 % des répondant·es ont déclaré que leur organisation l’avait signée, tandis que les autres ont déclaré ne pas le savoir. Donc la sensibilisation à la diversité à travers une initiative telle que la Charte de la diversité est encore loin d’être une réalité connue parmi les participant·es.

Les discriminations, faits réels ou fiction ?

La diversité des personnes âgées reste un sujet « ambivalent », qui peut être sous-estimé, ignoré, voire bafoué. C’est pourquoi nous avons également tenu à aborder la question de la discrimination. Ainsi, 85 % des personnes interrogées pensent que parmi les personnes âgées, certaines d’entre elles pourraient faire l’objet de discrimination. Nous avons dès lors demandé quels sont les indices ou les signes leur permettant de conclure à une expérience de discrimination. Pour la majorité des participant·es, il s’agit de déclarations personnelles de la part de la personne elle-même concernée ou de son entourage (88 %), de changements de comportement comme le repli sur soi (80 %) ou de blessures physiques (48 %). De plus, notre enquête montre que les discriminations sont le plus souvent perçues en termes d’origine/de culture, de handicap et d’âge et, dans une moindre mesure, en termes d’orientation de genre et d’identité sexuelle. Or, il faut noter qu’il existe peu de connaissances sur la situation de vie des seniors LGBT+, ceci n’ayant guère fait l’objet de recherches. Quelques études isolées montrent que les personnes LGBT+ sont souvent sans enfant et vivent seules, et que les services d’aide et de soins aux personnes âgées sont rarement acceptés de peur d’être discriminées1. De même, la religion ou la croyance apparaissent relativement peu dans les motifs de discrimination envers les seniors.

Les défis : que reste-t-il à faire ?

Selon les participant·es, les trois plus grands défis pour une approche sensible à la diversité avec les personnes âgées sont, en premier lieu, la sensibilisation et l’acquisition de compétences, par exemple à travers des formations continues et l’échange avec les collègues. En deuxième lieu, il y a l’utilisation du langage inclusif, et en troisième lieu, la gestion de conflits, en appréhendant des questions comme par exemple l’interculturalité ou le handicap. Afin de répondre aux besoins d’une population hétérogène aux besoins très variés, il est important d’adapter les prestations (activités, aides et soins). Au-delà de la charte d’un établissement, qui met en évidence sa propre conception de l’identité et permet d’identifier les objectifs à atteindre, il est également important de prendre en compte les perceptions, les expériences et les valeurs des collaborateur·rices. L’ouverture à la diversité et l’action sensible à la diversité nécessitent de l’espace et du temps. Ces espaces doivent être créés institutionnellement, par exemple sous forme d’analyses de cas, réalisées lors de formations. Ce processus est souvent désigné par le terme de Diversity Management et considéré comme un potentiel permettant de résoudre les divers problèmes.

Emergence d’une nouvelle ère ?

A travers cet article, nous avons souhaité montrer que la diversité des personnes âgées est un phénomène plutôt « in-visible » dans les lieux de travail et de vie des seniors. En effet, le vieillissement de la population est encore peu marqué au Luxembourg. Le pourcentage des personnes âgées de 65 ans ou plus est relativement stable, passant de 13 % en 1990 à 14 % en 2018. Cependant, ce vieillissement devrait s’accentuer à l’avenir et de manière plus rapide suite à la baisse projetée des migrations (Peltier, 2020 : 109)2. Une partie des personnes âgées est ou sera cliente/patiente des services mis en place au Luxembourg, que ce soit pour leurs loisirs ou leur santé par exemple. Et ces personnes se distingueront par leur diversité culturelle, sexuelle, religieuse et autre. Toutefois, si les professionnel·les ne sont pas eux-mêmes issus de la diversité au sens large, ils devront au moins être préparés et formés à celle-ci dans la perspective de leur activité professionnelle.

« Car s’ouvrir à la diversité dans une institution, quelle qu’elle soit, c’est être en phase avec la diversité de notre société. C’est aussi permettre de libérer la parole des usagers et des usagères. » (Donnet, 2021:35)3

Enfin, nous dressons un double constat. Premièrement, la diversité des personnes âgées est bien présente dans les institutions. Selon les personnes interrogées, le pourcentage de personnes âgées issues de la diversité se situe entre 80 et 93 %, tant pour la diversité culturelle et religieuse que pour celle liée à un handicap physique ou psychique. Deuxièmement, l’orientation de genre et l’identité sexuelle des personnes âgées LGBT+ restent encore peu relevées. Seule la moitié des participant·es reconnaissent avoir des personnes LGBT+ parmi leurs pensionnaires, client·es ou résident·es. Ce sujet fait partie des tabous de la société en général et le secteur des personnes âgées ne fait pas exception. Néanmoins, l’accueil de la diversité par les institutions est en bonne voie. La moitié des participant·es estime que celui-ci est adapté, tandis que l’autre moitié souhaite améliorer l’ouverture institutionnelle à la diversité. Nous pensons donc qu’il est important pour les professionnel·les du secteur de se préparer afin de pouvoir appréhender les réalités sociétales à venir (voir publication4). Cette nouvelle ère est en train de s’écrire et nous tous, politicien·nes, professionnel·les et citoyen·nes, faisons partie de sa rédaction.

1 Ralf LOTTMANN, Rüdiger LAUTMANN et Mario CASTRO VARELA, Homosexualitäten und Alter(n), Wiesbaden, VS Verlag, 2016.

2 François PELTIER, « Perspectives démographiques au Luxembourg : Quid du vieillissement de la population ? », dans Carole RECKINGER et Robert URBÉ (éds), Sozialalmanach 2020. Vieillissement, Luxembourg, Caritas Luxembourg, 2020,
p. 109-122.

3 Geneviève DONNET, Seniors LGBT. Guide de réflexion et d’action pour un accueil inclusif, Genève, Association 360, décembre 2021, p. 1-48.

4 Journal geroRESEARCH, Diversität/Diversité. Vielfalt im und jenseits von Alter. Pluralité autour et au-delà de l’âge, Luxembourg, Imprimerie centrale, GERO – Kompetenzzenter
fir den Alter (éd.), n° 7, 2022.

La Dr Elsa Pirenne est docteure en sciences sociales et politiques ainsi que chercheuse. Elle travaille au sein du Centre de compétence gérontologique (GERO) depuis 2022.

La Dr Martine Hoffmann est docteure en psychologie, psychothérapeute agréée et responsable du département de recherche geroRESEARCH.

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